
« "Ecole" vient d'un mot grec signifiant "loisir". L'étude doit être la pause féconde et enrichissante où l'on s'arme pour la vie et pour la réflexion, où l'on entre en possession de tout un trésor humain, que plus tard on n'aura plus ni le temps ni l'occasion de découvrir.»
Jacqueline de Romilly - L’enseignement en détresse (1984)
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DOSSIER DE PRÉ-RENTRÉE SUR LE MONDE
I/ LE MONDE EST LE MONDE DE L’HOMME
A/ SEUL L’HOMME PEUT DIRE LE MONDE, PENSER LE MONDE ET PAR CONSÉQUENT ACCÉDER À UNE AUTRE DIMENSION DE LA RÉALITÉ.
Le point de vue humain sur le monde implique le langage, un pouvoir de nommer qui fige ce qu’il nomme, qui produit des découpages rigides et substantifie ce qu’il touche : le monde humain serait d’abord nommable, constitué de noms par lesquels le monde est recouvert plus qu’il n’est saisi par eux.
L’Homme apparaît comme un être d’exception. Il a le privilège de la pensée, du logos. Ce qui distingue fondamentalement l’Homme de l’animal, c’est l’aptitude à la pensée symbolique, c’est-à-dire l’aptitude à former des concepts, des idées.
Le monde muet de l’animal apparaît souvent comme un moindre monde. L’animal silencieux est incapable de dire le monde et par conséquent il serait également incapable de penser le monde et donc d’être au monde. Le silence de l’animal pour Heidegger prouve que le monde lui est ouvert mais non accessible. L’impossibilité de dire les choses, de dire le monde – de le penser conduit à une incapacité de se rapporter au monde en tant que tel : l’animal serait dans le monde mais pas au monde.
« Ce qui distingue l’homme de l’animal c’est l’aptitude humaine à la pensée symbolique » John berger. Dans philosophie animale. Pkoi regarder les animaux.
Le propre de l’homme tiendrait moins dans la capacité à faire des expériences, élaborer des raisonnements, communiquer, qu’à se penser comme étant capable d’instaurer une distance entre l’expérience et son concept. L’esprit humain est l’avènement de la médiation. L’esprit humain comme avènement de la médiation signifie que son rapport aux choses n’existe pas sans un rapport à soi en retour et réciproquement, mais surtout qu’il se distingue par la capacité à réfléchir explicitement ce rapport, à le formaliser, le conceptualiser. Être un sujet, accéder au domaine de l’esprit, c’est être capable de faire retour à soi dans toutes les expériences, et de les saisir ainsi en propre.
Le mode d’être hors de soi qualifie l’existence en tant que manière d’être de l’homme, à l’inverse d’une animalité qui serait consubstantiellement prise dans l’actualité, incapable du moindre recul par rapport aux objets qui l’entourent.
L’homme se distingue de l’animal par sa capacité à ériger des symboles et à accéder à une autre dimension de la réalité.
Cassirer dans Essai sur l’homme explique que si l’être humain se distingue des animaux, ce n’est pas en vertu de qualités que les bêtes ne partageraient pas avec lui (langage, âme, libre arbitre…) mais bien par la fonction caractéristique de son esprit. En effet, l’homme est le seul être vivant capable de vivre dans une autre dimension de la réalité : une dimension symbolique.
L’immanence de l’animal l’empêche d’accéder à une autre dimension de la réalité. Il est « comme de l’eau à l’intérieur de l’eau » explique Bataille. Les hommes et les animaux ont pour point commun d’être capables d’accéder à leur environnement immédiat, grâce à la perception, d’y reconnaître des signes ou signaux. Cependant, le symbole constitue le seuil qu’aucun animal ne peut franchir. Le symbole constitue pour Cassirer la porte d’entrée à la dimension constitutive de l’existence humaine.
« L’homme est un animal symbolique ».
« L’homme a, pour ainsi dire, découvert une nouvelle méthode d’adaptation au milieu. Entre les systèmes récepteurs [perception sensorielle] et effecteur [capacité de réaction] propres à toute espèce animale existe chez l’homme un troisième chaînon que l’on peut appeler système symbolique. Ce nouvel acquis transforme l’ensemble de la vie humaine. Comparé aux autres animaux, l’homme ne vit pas seulement dans une réalité plus vaste, il vit, pour ainsi dire, dans une nouvelle dimension de la réalité. »
L’homme « ne vit plus dans un univers purement matériel, mais dans un univers symbolique. Le langage, le mythe, l’art, la religion sont des éléments de cet univers. (…) L’homme ne peut plus se trouver en présence immédiate de la réalité ; il ne peut plus la voir, pour ainsi dire, face à face. La réalité matérielle semble reculer à mesure que l’activité symbolique de l’homme progresse. »
Ainsi, seul le symbole permet à l’esprit de s’affranchir de sa dépendance sur l’environnement physique et matériel. L’animal ne peut échapper à la dictature du hic et nunc !
B/ NÉGATION DE L’ANIMALITÉ ET NÉGATION DU MONDE
« L’homme est dès l’abord l’animal qui échappe à la contrainte toute puissante du désir immédiat, il est l’animal qui met le désir en sursis, pour se consacrer entièrement à la mise en oeuvre du moyen » « L’Histoire de l’érotisme ». Georges Bataille
Comment interpréter cette phrase étonnante ?
Bataille place sur le même plan l’interdit et l’emprise de l’homme sur le monde.
« Je poserai en principe le fait peu contestable que l’homme est un animal qui n’accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie. Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain. (…) Il est nécessaire encore d’accorder que les deux négations — du monde donné et de sa propre animalité — par l’homme sont liées. » L’Histoire de l’érotisme »
Pour Bataille, la négation de l’animalité par l’interdit et la négation du donné naturel par le travail constituent les deux faces d’une seule et même réalité. C’est parce que l’homme est capable de nier l’animalité en lui qu’il peut avoir aussi une emprise sur le monde. Par l’interdit, l’homme ne nie pas seulement l’animalité en lui mais manifeste sa volonté de créer un nouvel ordre dans le monde.
« Il ne nous appartient pas de donner une priorité à l’une ou à l’autre, de chercher si l’éducation (qui apparaît sous la forme des interdits religieux) est la conséquence du travail, ou le travail la conséquence d’une mutation morale. Mais en tant qu’il y a l’homme, il y a d’une part travail et de l’autre négation par interdits de l’animalité de l’homme. » « L’Histoire de l’érotisme »
L’originalité de Bataille est de placer sur un même plan la négation de l’animalité par l’interdit et l’emprise de l’homme sur le monde. Les deux sont intrinsèquement liées. L’animal incapable de poser des interdits est aussi incapable de transformer le monde.
C/ SEUL L’HOMME PEUT HABITER LE MONDE
L’homme contrairement à l’animal est donc un être dénaturé, capable de prendre ses distances avec le monde. Il peut par conséquent dominer le monde, le maîtriser et le transformer à son image.
L’animal subit le monde alors que l’Homme au contraire est capable d’abord de se rendre comme maître et possesseur d mais aussi de transformer la nature à son image, d’ « habiter le monde de ses oeuvres ». Le monde apparaît comme un miroir dans lequel l’homme se contemple. En transformant le monde, l’homme se transforme lui-même.
Chez Hegel, il y a deux consciences :
- La conscience théorique (introspection, réflexivité)
- La conscience pratique.
C’est précisément parce que la vérité intérieure nous échappe qu’on éprouve le besoin de l’extérioriser comme pour mieux se l’approprier.
Hegel dans L’Esthétique (1835) écrit « cette conscience de lui-même l’homme l’acquiert de deux manières: théoriquement en prenant conscience de ce qu’il est intérieurement (…) mais l’homme est également engagé dans des rapports pratiques avec le monde extérieur, et de ces rapports naît aussi le besoin de transformer ce monde (…) en lui imprimant son cachet personnel ».
Pour Hegel il y a deux façons de prendre conscience de soi. Selon lui si l’homme a besoin d’habiter le monde, c’est pour se reconnaître lui-même dans la forme des choses qu’il a créée, c’est pour « jouir de lui-même comme une réalité extérieure ».
Hegel explique que cet instinct on le retrouve chez le très jeune enfant « on saisit déjà cette tendance dans les premières impulsions de l’enfant : il veut voir des choses dont il soit lui-même l’auteur, et s’il lance des pierres dans l’eau c’est pour voir les cercles qui se forment et qui sont son œuvre et dans laquelle il retrouve comme un reflet de lui-même ».
Hannah Arendt dans La Crise de la culture définit l’homme comme un faiseur de miracle, c’est-à-dire un être capable de faire advenir l’improbable par son intervention dans le monde et dans l’espace « il fait se produire ce qui sans lui aurait très peu de chances d’arriver ». Pour Hannah Arendt la liberté étonne, elle est novatrice, elle invente. Etre libre c’est métamorphoser le monde. C’est pour cette raison que pour Hannah Arendt être libre et agir ne font qu’un. « La condition humaine de l’œuvre est l’appartenance au monde ». Si Hannah Arendt a critiqué la modernité c’est justement parce qu’elle ne permet plus à l’homme d’habiter le monde. Parce que les objets ne sont que consommés, pas de durée propre. L’ouvrier produit des objets dont il ignore la forme utile. L’ouvrier ne se réalise plus dans ses œuvres. Son travail est un pur labeur qui ne permet pas la conscience de soi.
Arendt oppose l’animal laborans à l’homo faber. L’animal laborans c’est celui qui subit le monde sans jamais pouvoir l’habiter. Et l’homo faber au contraire c’est celui qui est capable de fabriquer une variété d’objet et qu’il place ensuite dans le monde. L’œuvre a pour fonction justement de garantir aux hommes une certaine permanence dans le monde. D’ailleurs les grecs pensaient que les grandes œuvres comme les grands exploits seraient remémorés éternellement. Pour A. Arendt ce qui caractérise les œuvres des hommes c’est leur durabilité. Ils placent dans le monde des œuvres destinées à leur survivre.
Elle écrit « parmi les choses qu’on ne rencontre pas dans la nature mais seulement dans le monde fabriqué par l’homme, on distingue les objets d’usage et les œuvres d’art mais tous deux possèdent une certaine permanence qui va de la durée ordinaire à une immortalité potentielle comme dans le cas des œuvres d’art ». Habiter le monde c’est finalement ouvrir sa conscience à la dimension du temps, c’est s’y établir, se donner une durée et peut-être même une immortalité.
L’Homo faber manifeste donc sa sagesse, son intelligence dans la mesure où il est capable de modifier le monde qui l’entoure. Pour cela, il manie l’outil et transforme son environnement, le façonne de sa pensée et de sa main.
D/ LE MONDE N’EST ACCESSIBLE QU’À L’HOMME. L’ANIMAL A UN MILIEU MAIS SEUL L’HOMME A UN MONDE, SEUL L’HOMME EST CONFIGURATEUR DE MONDE.
LA PIERRE EST SANS MONDE, L’ANIMAL PAUVRE EN MONDE ; L’HOMME CONFIGURATEUR DU MONDE.
Pour Heidegger, l’homme lui peut s’ouvrir au monde, le monde n’est accessible qu’à l’homme. Seul l’homme est configurateur de monde.
L’homme a toujours devant lui le monde. La stupeur de l’animal est en quelque sorte le véritable arrière-plan sur lequel peut se détacher l’essence de l’homme. Le milieu animal et le monde humain semble s’écarter l’un de l’autre dans une radicale hétérogénéité.
L’homme est ouverture au monde. Le Dasein lui s’ouvre dans un monde. Il est tendu extatiquement hors de lui. L’homme est ouverture au monde.
Ainsi, cela veut dire, en toute rigueur, que seul l’homme a en ce sens véritablement un monde. Le «monde environnant » de l’animal, doit être considéré comme un simple « milieu environnant » et non pas comme un « monde ».
Heidegger écrit dans Les Concepts fondamentaux de la métaphysique : « Le comportement de l’animal n’est jamais une perception de quelque chose en tant que quelque chose. « Nous considérons cette possibilité de prendre quelque chose en tant que quelque chose comme une caractéristique du phénomène du monde … »
Ainsi, la notion de monde ne concerne véritablement que l’homme, c’est parce que, comme l’écrit Heidegger lui-même : « Certes , l’animal a un accès à…, et un accès à quelque chose qui est réellement, mais ce quelque chose, c’est seulement nous qui sommes capables de l’éprouver et de le voir se manifester en tant qu’étant » (Lettre sur l’humanisme)
Ainsi, pour pouvoir parler d’un monde de l’animal, il faudrait que l’animal soit capable de se contempler dans un monde qu’il a créé. La notion de monde est encore liée à la conscience de soi. Le point de rupture entre l’homme et l’animal est la réflexivité.
CL :
S’il faut retenir une idée c’est celle-là : le monde est ouvert à l’animal mais jamais accessible. Et c’est la raison pour laquelle il est difficile de parler de monde en tant que tel pour l’animal. Même si à la différence de la pierre qui est sans monde, l’animal est seulement « pauvre en monde ». Un monde c’est quelque chose que l’on nomme, que l’on habite, que l’on transforme à son image… un monde c’est un miroir devenu soudain médiateur de la conscience de soi. Un monde c’est un lieu dans lequel je me reconnais, dans lequel je place mes œuvres, dont certaines d’ailleurs, prétendent à l’éternité. Seul un être capable de poser la question du sens de sa vie, seul un être aspirant à l’éternité peut s’ouvrir au monde, habiter le monde, renouveler le monde, transformer le monde. Un monde c’est quelque chose que je transmets, tel un passeur de témoin….
II/ LE MONDE : DU COSMOS AU DÉSENCHANTEMENT
A/ LE COSMOS
Le monde peut être pensée sous le signe du cosmos. Le cosmos s’oppose au chaos. On retrouve là l’idée selon laquelle cla nature est considérée comme un grand tout éternel, organisé. Dans le cosmos, chaque élément est à sa juste place.
Platon dans Gorgias : « C’est la raison pour laquelle à cet univers les hommes donnent le nom de cosmos, d’arrangement, et non celui de dérangement ou de dérèglement. »
Ainsi le monde offrirait l’image d’un monde éternel mais aussi hiérarchisé, harmonieux, ordonné, statique. La nature est l’image de l’infini, de l’immensément grand. A l’origine du monde il y aurait la notion de Theos, la force qui organise le monde. Le Theos ne crée pas la nature chez les grecs mais c’est la force qui permet de passer du chaos au cosmos, c’est une force organisatrice. Le cosmos offre l’image d’un nature intelligente, intelligible, rationnelle et organisée. La nature est à contempler. C’est un ordre figé qui s’ordonne autour d’un principe supérieur.
Koyré dans son Entretien sur Descartes écrit que « Le cosmos hellénique, le cosmos d’Aristote et du Moyen-Age est un monde ordonné et fini (…), hiérarchie parfaite où les places même des êtres correspondent au degré de leur perfection ». C’est un univers où tout est à sa juste place, idée d’harmonie, tout a une finalité.
On retrouve cette idée chez Platon dans La République lorsqu’il écrit que les lois humaines ont pour vocation de mettre en œuvre les lois de la nature. Par conséquent, lorsque les lois humaines s’éloignent des lois de la nature, elles risquent de conduire au désordre et à l’injustice : « Il existe une loi vraie, c’est la droite raison conforme à la nature, répandue dans tous les êtres, toujours d’accord avec elle, non sujet à périr, c’est une loi éternelle et immuable qui régit toutes les nations ». Ainsi la nature est le lieu où la vie humaine peut être réglé par la recherche du bien.
Luc Ferry, dans deux ouvrages :Ulysse ou l’homme aux mille ruses et Thésée ou la loi du courage explique que pour les grecs, si l’idée du cosmos est détruit, c’est la question même du sens de lavie qui est remise en question. Il rappelle que pour les Grecs, “la vie bonne” est la mise en harmonie de soi avec l’harmonie du monde,
« Si le cosmos est détruit, je ne peux plus trouver le sens de ma vie, je ne peux plus m’ajointer à l’ordre du monde comme une petite pièce s’ajuste au puzzle entier du cosmos. C’est extrêmement profond, absolument génial.”
B/ LE MONDE DIVINISÉ
Bien souvent nous allons même jusqu’à spiritualiser le monde à lui donner une âme. On retrouve cette idée dans la notion de panthéisme. C’est une doctrine philosophique, religieuse, qui considère que le monde serait une sorte d’émanation de Dieu. Ce serait par le monde que le divin manifesterait aux hommes sa grandeur, le monde deviendrait l’incarnation la plus tangible de Dieu.
On retrouve cette apologie du panthéisme chez Spinoza dans L’Ethique. Pour Spinoza, Dieu constitue la substance infinie unique qui existe nécessairement et constituerait par conséquent la cause de l’univers : « Il n’y a qu’une substance dans l’univers c’est Dieu et tout le reste est en Dieu ». Si Dieu constitue la seule substance, alors le monde est une émanation de Dieu, il devient le miroir et le symbole de la puissance divine.
Chez Lamartine comme chez Chateaubriand, la splendeur des paysages manifeste la puissance divine. Lamartine dans Le Vallon écrit que la nature est l’émanation de Dieu et il écrit « sous la nature enfin découvre son auteur ».
Pour V. Hugo le monde n’est pas qu’un simple reflet de Dieu, il est Dieu lui-même ! Ainsi, en contemplant le monde, l’homme peut atteindre une dimension métaphysique. Le mot « Contemplation » chez Hugo, possède une dimension religieuse, mystique. On pourrait définir la contemplation comme une attention profonde de l’esprit a un objet d’ordre intellectuel ou spirituel. Le monde prend dès lors une dimension spirituelle et métaphysique dans la mesure où déchiffrer le monde, c’est trouver Dieu ! Le poète est sans doute le seul être à être capable de déchiffrer le mystère du monde, d’interpréter ses signes.
« Que lisais-je »
« Il est sain de toujours feuilleter la nature,
Car c’est la grande lettre et la grande écriture ;
Car la terre, cantique où nous nous abîmons,
A pour versets les bois et pour strophes les monts ! »
« Bien lire l’univers, c’est bien lire la vie.
Le monde est l’œuvre où rien ne ment et ne dévie,
Et dont les mots sacrés répandent de l’encens. »
Ainsi, contempler, c’est aussi méditer. Pour Hugo, la première étape de la contemplation, est l’observation. La deuxième est la méditation. La troisième est la prière. Le but de la contemplation est donc de passer de l’observation du monde a la prière.
Dans « Heureux l’homme occupé », Victor Hugo nous dit qu’il doit d’abord observer la nature, puis méditer et enfin prier. Il écrit « heureux l’homme occupé de l’éternel destin qui, tel un voyageur qui part de grand matin, se réveille l’esprit rempli de rêveries et dès l’aube du jour, se met à lire et prie ».
C/ MODERNITÉ ET DÉSENCHANTEMENT DU MONDE, L’HOMME PROMÉTHÉEN.
Avec la modernité nous assistons à une démystification, un désenchantement du monde. Ce désenchantement contribue à l’érosion des représentations sacrées du monde. Avec la modernité nous assistons à l’émergence d’une philosophie rationnelle qui privilégie avant tout la connaissance comme voie de sagesse.
On peut reprendre les propos de J-P Vernant dans Les origines de la pensée grecque (1962) qui explique que la modernité est une pensée neuve qui « cherche à fonder l’ordre du monde sur des rapports de symétrie d’équilibre, d’égalité entre les divers éléments qui composent le cosmos ».
Chez les anciens la nature est à contempler et chez les modernes la nature est à connaître et à maitriser !
Le monde n’est plus soumis à un projet divin, il est régi par des lois qui lui sont propres, ce sont les lois de la physique, connaître ses lois permet de le maitriser pour servir nos intérêts.
Descartes dans le Discours de la méthode nous dit que « l’homme doit se rendre comme maitre et possesseur de la nature ».
« Les notions générales touchant à la physique (…) nous fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui sont fortes utiles à la vie. Nous les pourrions employer en multiples façons, à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maitre et possesseur de la nature. »
Le monde est entièrement maitrisable et seul l’homme peut poursuivre des fins en connaissant le déterminisme naturel. Les anciens admirent le monde alors que les modernes cherchent ses causes.
Descartes regarde le monde comme une vaste machinerie en lui appliquant le langage mathématique. Le monde n’est qu’une machine complexe, tout est mesurable. Il est démystifié parce qu’il a perdu sa part de mystère. Avec la modernité, le monde est perçu désormais sous le signe de la géométrie !
C’est par la technique que l’homme parvient à dominer le monde, la technique est donc un médiateur entre l’homme et le monde !
Ainsi l’histoire de l’homme apparaît comme l’histoire d’une lutte entre l’homme et le monde.
- Monod dans Le hasard et la nécessité évoque ce désenchantement du monde. Il considère que l’ancienne vision du monde comme cosmos était rassurante mais illusoire tandis que la nouvelle vision des modernes est inquiétante mais rationnelle : « une rationalité qui laisse l’homme seul dans un monde muet et stupide c’est à dire dans un monde désenchanté où la nature est réduite à l’état d’objet de chose utile, mesurable taillable et corvéables à merci ».
D/ PROTÉGER LE MONDE. LE RÔLE DE L’ÉDUCATION CHEZ ARENDT.
L’homme prométhéen qui s’est arrogé le droit d’une domination totale sur la nature doit soudain apprendre à faire preuve de vigilance.
- Jonas dans Le principe responsabilité développe la notion d’éthique de la vulnérabilité et cette éthique doit imposer des limites à l’impérialisme du progrès. Il écrit « autrefois la présence de l’homme dans le monde était une donnée première ne posant pas de questions (…) aujourd’hui elle est devenue elle-même un objet d’obligation ». Ce qui est nouveau aujourd’hui c’est la responsabilité que l’homme a dans ce processus, en fait la raison humaine doit trouver des ressources contre une puissance qu’elle a elle-même souhaité faire naitre.
- Hunyadi dans Je est un clone (2004) déclare que « Lorsqu’il y a présomption raisonnable d’un risque déraisonnable, l’absence de certitude scientifique quant à la réalisation de ce risque ne doit pas être un prétexte à retarder l’adoption de mesure visant à limiter ce risque ». Pour Hunyadi, dès que les progrès techniques mettent potentiellement le monde en danger, il faut immédiatement y mettre un terme. Le progrès technique ne doit nous faire courir aucun risque.
- Arendt dans La Condition de l’homme moderne insiste sur le rôle de l’éducation. Elle explique que le rôle de l’éducation est précisément de remettre le monde en place. Il s’agit à la fois de protéger l’enfant du monde et de protéger le monde de l’enfant : « ce monde aussi a besoin d’une protection qui l’empêche d’être dévasté et détruit par la vague des nouveaux venus qui déferle sur lui à chaque génération ». Ainsi pour Arendt, les parents non pas seulement donné vie à leur enfant, ils les ont également introduits dans un monde qui leur préexiste et qui leur succédera. Ainsi en les éduquant, ils assument à la fois « la responsabilité de la vie et du développement de l’enfant mais aussi celle de la continuité du monde ». C’est pour cette raison que l’éducation doit être novatrice et conservatrice parce que l’enfant ne peut créer dans le monde que s’il apprend déjà à le protéger et le conserver.
III/ LE MONDE : UNE INVENTION DE L’HOMME !
A/ LE MONDE N’EXISTE PAS !
Baudelaire Les Salons de 1859 écrit « si l’assemblage d’arbres, de montagnes, d’eaux et de maisons que nous appelons un paysage est beau, ce n’est pas par lui-même mais par moi, par ma grâce propre, par l’idée ou le sentiment que j’y attache ». La beauté pour le poète n’est donc jamais naturelle mais toujours artificielle. Baudelaire dénonce le culte niais de la nature, ce qu’il appelle « l’amour de la nature, rien que la nature ». Pour lui la nature est toujours l’objet d’une représentation.
On retrouve cette idée chez O. Wilde dans Le déclin du mensonge lorsqu’il déclare que « Ce n’est pas l’art qui imite la nature mais la nature qui imite l’art ».
Les hommes regardent toujours le monde à travers le regard de l’artiste. Les œuvres d’art on le pouvoir de modifier notre perception du monde. « Qu’est-ce donc que la nature ? Elle n’est pas la mer qui nous enfanta ? Elle est notre propre création ». « Les choses ne sont que parce que nous les voyons et ce que nous voyons et comment nous le voyons dépend des arts qui nous ont influencé ». O. Wilde nous rappelle qu’il y a eu des brouillards pendant des siècles à Londres mais ils n’existèrent vraiment qu’au jour où l’art les inventa. L’art a le pouvoir d’inventer le monde.
Magritte dans La clé des champs (1939), s’est attaché à déconstruire l’idée que le paysage serait le miroir de la nature. Le but de Magritte est de semer des inquiétudes fondamentales. Le monde pour lui serait un simulacrum : un simulacre, une illusion, un mensonge. En fait ce n’est pas la représentation qui est un mensonge mais le monde, le monde serait un effet et non une cause dans la mesure où il n’y a pas de paysage en dehors de sa représentation. Le tableau représente une fenêtre encadrée par un rideau qui fait penser à un rideau de théâtre, fenêtre ouverte sur un paysage naturel. Et la vitre brisée ouverte sur la nature offre une réflexion sur la finalité de l’art. L’art est comme une fenêtre ouverte sur le monde, une mise en scène du monde. Le monde est donc toujours observée d’un certain point de vue, perçu à travers le prisme d’une vitre brisée. Par conséquent on pourrait dire que sa transposition est lourde de subjectivité.
B/ LE MONDE N’EXISTE QUE POUR UNE CONSCIENCE
Merleau-Ponty dans une conférence au collège de France en juillet 1956, intitulée La nature, déconstruit la vision cartésienne de la nature. Pour lui, la nature n’est pas un pur objet mais plutôt une énigme. Son objectif est de montrer que la nature va bien au-delà des limites de la connaissance et de l’expérience, elle n’est pas un pur objet. Merleau-Ponty parle d’une anthropogisation de la nature, introduisant par-là l’idée selon laquelle le monde est toujours perçue à travers le regard de l’homme, la nature est toujours paysage. Ainsi le monde ne préexiste pas à la conscience, il faut toujours le ramener à une conscience humaine, à une intériorité. Ici, le monde perd sa substance, son objectivité. Il s’agit d’incorporer le monde : « C’est par notre corps perceptif et sensible que nous sommes dans un état d’indivision avec la nature ».
Pour Merleau-Ponty il existe donc une spatialité originale, singulière, unique, il y a autant d’espaces que d’expériences spatiales distinctes.
Merleau-Ponty, dans la Phénoménologie de la perception évoque la « mienneté de l’espace » : l’espace renvoie toujours au sujet, et le sujet renvoie toujours à l’espace. Comme si sujet et espace étaient indissociables. Le sujet n’est donc pas un phénomène qui se meut dans le monde : mais est plutôt le centre autour duquel s’organise le monde spatial. Le monde ne précède pas la conscience que l’on en a. On pourrait dire que le monde n’est pas donné mais construit. Le monde n’existe pas en dehors d’une conscience qui le perçoit.
Merleau Ponty dans L’œil et l’esprit : « Visible et immobile, mon corps est au nombre des choses, il l’une d’elles. Il est pris dans le tissu du monde et sa cohésion est celle d’une chose. Mais puisqu’il voit et se meut, il tient les choses en cercle autour de soi, elles sont une annexe ou un prolongement de lui-même, elles sont incrustées dans sa chaire, elles font parties de sa définition pleine et le monde est fait de l’étoffe même du corps ».
Merleau-Ponty renouvelle la conception traditionnelle du monde. Merleau-Ponty veut se livrer à une phénoménologie de l’espace. Il veut faire de l’espace un objet philosophique afin de fonder des espaces subjectifs distincts de l’espace objectif universel.
Par-delà un espace objectif se déploie un espace subjectif : il évoque l’espace de l’enfant, du peintre, du fou, du rêveur… il insiste sur une pluralité de l’expérience du spatial. Il évoque un espace de la perception différent de l’espace géométrique, c’est-à-dire un espace qualitatif différent de l’espace quantitatif.
Le tableau de Magritte intitulé Le Blanc-seing illustre cette idée. Ce tableau représente une cavalière qui traverse un paysage et elle se découpe sur le paysage, il y a une sorte de symbiose entre le corps de la cavalière et l’espace, au point qu’on finit par les confondre par ne plus pouvoir les dissocier l’un de l’autre. Au début, on a l’impression que c’est le personnage qui se fonde dans l’espace. On peut se demander si, contrairement à l’idée reçue, ce ne serait pas plutôt le paysage qui se fondrait dans le personnage !
CL :
C’est donc la conscience qui donne consistance, valeur et existence au monde. C’est par la conscience que le monde advient. Le monde n’est pas un objet, il n’est jamais donné, il est toujours construit. Le monde n’existerait pas s’il n’y avait pas des hommes pour le regarder !
LISTE DE SUJETS DE DISSERTATION PROVISOIRE
Représenter le monde
Habiter le monde
Le monde de l’imagination
Que faut-il pour faire un monde ? / Il faut de tout pour faire un monde !
Le monde commun
Changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde.
Le monde intérieur
La beauté du monde
Le citoyen du monde
L’art n’est-il qu’une représentation du monde ?
Le monde est-il donné ou construit ?
L’histoire est-elle la mémoire du monde ?
Etre au monde.
La philosophie nous détache-t-elle du monde ?
Le monde a-t-il une dimension humaine ?
Venir au monde
Dire le monde
Penser le monde/ Le monde de la pensée / Le monde des idées/
Croire au monde
L’homme est la mesure de toutes choses
Le temps du monde
Connaître le monde
Le théâtre du monde
Etre libre est-ce s’affranchir du monde ?
Le monde se réduit-il a la matière ?
Les lois du monde
L’ordre du monde
Chaque chose a sa place.
Quelle est la place de l’homme dans le monde ?
La fin du monde
Changer le monde
Le mondain
Faire de ce monde le mien
Le monde est-il un abyme ?
Le monde existe-t-il ?
Le monde est-il un objet philosophique ?
Le monde est-il infini ?
Le désenchantement du monde
La sagesse du monde
Le meilleur des mondes
Le monde a-t-il un langage ?
Inventer le monde.
Monde, identité et conscience de soi.
Percevoir le monde
Le monde a-t-il une profondeur ?
La conquête du monde
Le monde est-il réel ?
Le monde a-t-il une origine ?
La fin du monde
Travail et monde
Monde et technique
Fuir le monde
Seul au monde
La vérité du monde.
Enseigner le monde
Le silence du monde
Monde et illusion
La mondialisation
Le monde peut-il changer ?/ Changer le monde
La poésie du monde
Exister dans le monde
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES GÉNÉRAUX
NANCY Jean-Luc, Le sens du monde
GOODMAN Nelson, Manières de faire des mondes
BERNER Christian, Qu’est-ce qu’une conception du monde.
DILTHEY Wilhelm, Conception du monde et analyse de l’homme depuis la Renaissance et la Réforme
BRAGUE Rémi, La sagesse du monde : histoire de l’expérience humaine de l’Univers.
CLAVIER Paul, Le concept de monde,
FEDIER François, Le temps et le monde : de Heidegger à Aristote.
WOLFF Francis, Dire le monde.
MICHEL AMBACHER Cosmologie et philosophie.
MARION BERNARD. Le monde comme problème philosophique
GOODMAN Nelson, Manières de faire des mondes
CLÉMENT ROSSET, Le monde et ses remèdes
MARKUS GABRIEL. Pourquoi le monde n’existe pas
JOCELYN BENOIST, Adresse du réel
PAUL CLAVIER, Le concept de monde.
JULIEN RABACHOU, Qu’est-ce qu’un monde ?
CHRISTIAN BERNER, Qu’est-ce qu’une conception du monde ?
REMI BRAGUE, La sagesse du monde : Histoire de l’expérience humaine de l’univers
PHILOSOPHIE
ARISTOTE, Traité du ciel.
PLATON, Timée
AUGUSTIN, La Cité de dieu. Vol. 1 Livres I à X
SCHOPENHAUER Arthur, Le monde comme volonté et comme représentation
KOYRÉ, Alexandre. Du monde clos à l’univers infini.
PASCAL, Pensées, Les deux infinis
WITTGENSTEIN Ludwig, De la certitude.
JEAN HEIDMANN, Introduction à la cosmologie.
LEIBNIZ. Discours de métaphysique, suivi de Monadologie / Entretiens sur la pluralité des mondes
DAVID LEWIS De la pluralité des mondes.
FONTENELLE, Entretien sur la pluralité des mondes
MERLEAU-PONTY,
Le visible et l’invisible
L’Oeil et l’esprit
Phénoménologie de la perception
MC DOWELL, L’esprit et le monde
ARENDT,
La crise de la culture
La condition de l’homme moderne
BACHELARD, Poétique de l’espace
FERRY, Le nouvel ordre écologique
HEIDEGGER,
Chemins qui ne mènent nulle part
Etre et temps
JONAS, Le principe responsabilité
LEVINAS, Totalité et infini
ROUSSEAU,
L’Emile
Les rêveries du promeneur solitaire
SIMMEL, Philosophie du paysage dans la tragédie de la culture.
SERRES, Le contrat naturel
OUVRAGES LITTÉRAIRES
ROUSSEAU. Profession de foi du vicaire savoyard.
MONTAIGNE, Essais
VOLTAIRE, Micromégas
NICOLAS BOUVIER, L’usage du monde
PROUST, Un amour de Swann
JULES VERNE, Le tour du monde en 80 jours
ALDOUS HUXLEY, Le meilleur des mondes
WELLS, La guerre des mondes
COLETTE, Sido.
LAGARCE, Juste la fin du monde
BECKETT,
En attendant Godot
Fin de partie
CALDERON, La vie est un songe
MONTESQUIEU, Lettres persanes
MALRAUX, L’irréel
THOMAS MORE, L’utopie
BALZAC, La peau de chagrin
CERVANTES, Don Quichotte
STENDHAL, La chartreuse de Parme.
VERCORS, Le silence de la mer
ART
DIDEROT. Les salons
RODIN, Les cathédrales de France